Lisa Marlène Ntibayindusha : la persévérance comme clé du succès.

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À l’occasion de la fête nationale du Québec (24 juin), la seconde personne qui a accepté de partager son histoire avec nous est une québécoise d’adoption qui, a occupé le poste d’adjointe exécutive du secrétaire général et de coordonnatrice ministérielle et interministérielle au Ministère des Relations internationales et de la Francophonie. Son nom est : Lisa Marlène Ntibayindusha. Elle est présentement Conseillère aux affaires politiques et à la coopération à la Délégation générale du Québec à Paris.

Bonjour madame Ntibayindusha, merci de nous recevoir pour partager avec nos lecteurs, votre histoire; votre parcours.

Pour commencer : Qui est Lisa Marlène? De quel pays, êtes-vous originaire?

Tout d’abord, je tiens à vous remercier de votre invitation pour ce mois de juin 2019. C’est un honneur pour moi.

Je suis une néo québécoise née à Bujumbura au Burundi. J’y ai vécu les premières années de ma vie. Par la suite, ma famille s’est installée à Ouagadougou au Burkina Faso où j’ai grandi. Mon père y a été comme diplomate et j’y ai effectué une très grande partie de mes études primaires et secondaires.

Mes études secondaires complétées, je suis venue poursuivre mes études universitaires en science politique à l’Université Laval et je me suis établie dans la ville de Québec. Je vis actuellement à Paris, dans le cadre de mes fonctions au Gouvernement du Québec.

Pendant combien d’années, avez-vous vécu au Québec ? Pourquoi avoir choisi cette province comme lieu d’ancrage ?

Le Québec est l’endroit au monde où j’ai vécu le plus longtemps.  J’y suis à la maison bien que, le Burundi garde une place importante dans mon cœur. Cela fait exactement 19 ans que je vis au Québec. Cependant, je suis installée en France depuis décembre 2017.

Pourquoi le Québec? Je dois reconnaître qu’au départ, le choix du Québec n’était pas de moi. C’est ma mère qui a fait ce choix heureux pour mes études universitaires. En fait, mon frère aîné y était alors pour ses études en génie informatique à l’École polytechnique de Montréal et pour elle s’était rassurant de le savoir proche.

Mon ancrage s’est fait tout naturellement, parce que j’ai croisé durant mes années étudiantes, des personnes qui m’ont fait découvrir et aimer cette province. De plus j’ai été séduite par le fait qu’on y parle français. Je pouvais donc vivre en français dans un monde anglophone. C’est donc tout naturellement que j’ai choisi de vivre à Québec, car c’est une ville très agréable, un cadre de vie exceptionnel.

Par ailleurs, ayant été en contact avec l’histoire et la culture québécoise bien avant de m’y installer, j’étais gagné d’avance malgré les rudes hivers québécois auxquels je n’étais pas préparé.

Qu’est-ce qui vous a motivé à intégrer la fonction publique québécoise ? Cela a-t-il été facile pour vous ?

Ma motivation était ma volonté de contribuer à faire une différence dans la conduite des affaires de l’État et la dispense des services aux contribuables.  Pendant mes études universitaires, j’ai hésité entre faire de la politique ou intégrer la fonction publique, et cette dernière a gagné. Je crois que le Québec a besoin de tous ses talents et j’ai toujours considéré que chacun avec sa volonté est en mesure d’œuvrer pour le bien commun. Je rêvais d’avoir un impact positif sur les enjeux auxquels le Québec, comme toute société dans le monde, doit répondre tant sur le plan social, politique, économique que culturel.

De plus, mon père ayant été haut fonctionnaire et diplomate pour un État unitaire, j’avais une idée de ce que pouvaient être la manière d’aborder et de résoudre ces enjeux, car je parlais beaucoup de politique et d’administration publique avec lui. Cependant je n’avais pas une idée précise, des défis qui pouvaient être ceux d’un État fédéré en dehors de ce que j’apprenais dans mes cours de science politique (notamment sur le fédéralisme). Je n’avais que des aperçus, mais il me fallait aussi de la pratique.

Me voici donc quelques années plus tard, au cœur de la diplomatie québécoise. Et qui plus est, au sein du vaisseau amiral du dispositif diplomatique du Québec ! Pour une néo-québécoise comme moi, je crois que ce n’est pas rien que de défendre les intérêts de l’État qui vous a adopté lorsque vous avez fait le choix de vous y établir. Et je peux vous dire que c’est très stimulant de défendre la place du Québec, comme État fédéré sur la scène internationale et de me dire à la fin de chaque journée que, je viens de contribuer à mettre une pierre (aussi petite soit-elle) sur l’édifice de nos réalisations.

Je dois toutefois reconnaître que les choses n’ont pas été aussi faciles que cela semblerait. Elles n’ont pas été très difficiles non plus. Comme beaucoup d’autres québécois aussi bien les natifs que ceux venus d’ailleurs, j’ai dû faire mes preuves et démontrer que j’étais qualifiée pour les postes pour lesquelles je postulais. Il ne faut pas oublier que d’autres, tout aussi qualifiés que nous, peuvent également être de la course. En fin de compte, c’est à celle ou celui qui répond le mieux aux critères que revient généralement le poste.

Une petite anecdote : « un employeur un jour m’a dit qu’il avait longtemps hésité à m’engager parce que mon nom indiquait que j’étais étrangère. Il avait consulté le reste de l’équipe que je devais intégrer et qui, semble-t-il, avait peur de ne pas me comprendre lorsque je parlerai. Après avoir passé en entrevue une dizaine d’autres candidats et s’en être séparé après la période d’essais, il ne restait plus que moi dans le panier des postulants. Je présume qu’il m’appela en entrevue par dépit car, sa première réaction fut de dire qu’il me comprenait lorsque je parle! Les jours, semaines et mois suivants ont prouvé que j’étais faite pour le poste puisque j’y ai passé quelques années avant d’aller relever de nouveaux défis ailleurs ».

Par cette petite histoire, je veux simplement illustrer que ça n’a pas forcement été facile. Mais avec le travail et la persévérance, chaque personne finie par se trouver au bon endroit, au bon moment.  Parfois j’ai eu l’impression que mon nom pouvait me fermer des portes, mais je referais les choses exactement de la même façon, car je suis fière de porter ce nom, Ntibayindusha, qui fait de moi, qui je suis.

Quels conseils pouvez-vous donner aux personnes immigrantes qui souhaitent intégrer la fonction publique, mais peinent à y être admises ?

 Il faut persévérer et ne pas se décourager. Si vous n’êtes pas pris sur un poste donné, il y en aura un autre, le vôtre. Soyez constant, créez-vous un réseau et allez au-devant des employeurs. Faites-vous connaitre.

Pour ma part, je n’ai jamais baissé les bras, car je savais ce que je voulais. Il m’a fallu deux années après mes études universitaires pour décrocher mon premier emploi dans la fonction publique, et ce n’était pas faute de n’avoir pas soumis ma candidature. J’ai été constante et jamais, je ne me suis sentie exclue car, je savais qu’un jour j’y parviendrai et c’est ce qui est finalement arrivé.

Plus de 10 ans plus tard, quand je regarde en arrière, je suis heureuse d’avoir persévéré. Non seulement je suis une employée du Gouvernement du Québec, mais en plus j’œuvre aujourd’hui dans la diplomatie québécoise à Paris, et j’ai eu l’opportunité de passer le concours de l’École nationale d’administration (ENA) française et d’être admise au cycle international de perfectionnement. J’ai ainsi passé 8 mois en formation à Strasbourg et à Paris avant d’obtenir un diplôme d’administration publique de l’ENA ainsi qu’une maitrise en administration publique et affaires internationales de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Vous comprenez donc que, si j’avais déclaré forfait quand ça me semblait dur, je ne serais peut-être pas où je suis actuellement.

Vous êtes présentement conseillère aux affaires politique et la coopération et représentez la province du Québec en France. Pouvez-vous nous parler en quelques lignes de votre travail ?

 Le Québec et la France ont développé des liens exceptionnels qui s’articulent notamment à travers un dispositif diplomatique en vertu duquel la Délégation générale du Québec à Paris assure le lien direct et privilégié avec le gouvernement français et je suis très heureuse de pouvoir y participer.

Ainsi mon travail consiste à exposer à l’ensemble de nos interlocuteurs les grandes priorités du Gouvernement du Québec, à préserver les intérêts du Québec et à renforcer la relation franco-québécoise. Par mon travail, je dois participer à forger et maintenir des relations de haut niveau au sein de l’administration française et du gouvernement français. Je suis également amenée à expliquer et défendre les positions du Québec, et doit être en mesure d’identifier les aspects en France qui peuvent avoir des incidences sur notre belle province. Je dois ainsi m’assurer d’avoir une bonne connaissance de la vie politique de la France tout comme de sa vie économique, sociale et culturelle afin de contribuer à renforcer l’attractivité du Québec en France. C’est aussi un travail d’équipe, et il est important d’être constamment en lien avec nos autres collègues à Paris ou au Québec.

Mon travail m’amène aussi à me dépasser par mon rôle de responsable de la planification et de la coordination des missions en France de notre Premier ministre, monsieur François Legault, ainsi que de notre ministre des Relations internationales et de la Francophonie, madame Nadine Girault, mais aussi d’autres ministres sectoriels. C’est un rôle très stimulant, où à chaque fois je dois m’assurer que la mission se déroule bien, que les rencontres soient de haut niveau et que chaque activité contribue à exposer et défendre les intérêts du Québec.

J’assure aussi la coordination de la Commission permanente de coopération franco-québécoise, qui est le principal instrument de l’articulation des échanges entre le Québec et la France. À travers cette coopération, on peut se rendre compte de son étendue et de sa richesse, notamment par la qualité des projets qui sont présentés, lesquels sont aussi le témoignage de la force des liens et des collaborations entre Québécois et Français. Je peux vous dire que nous avons beaucoup de talents au Québec et que ceux-ci trouvent un écho fort en France.

Quelle est la différence entre un conseiller aux affaires politiques travaillant à l’intérieur du pays et celui exerçant, en externe ?

Avant d’être affectée en France, j’étais une conseillère en affaires internationales généralistes. J’occupais le poste de coordonnatrice ministérielle et interministérielle et d’adjointe exécutive du Secrétaire général du ministère des Relations internationales et de la Francophonie. À ce poste, je contribuais à la réflexion et à l’étude des dossiers du ministère et je veillais également à l’arrimage des intérêts de l’administration avec ceux des autorités politiques. J’y avais une vue d’ensemble des dossiers du ministère et il s’agissait d’un rôle stratégique.

Aujourd’hui, mon terrain de jeu c’est la France et j’ai un rôle tout aussi stratégique selon moi. Aujourd’hui, je me concentre sur la France et le Québec et il est de mon devoir de maîtriser la politique française autant que la politique québécoise. Pour jouer un bon rôle-conseil, je dois en connaitre les politiques, les objectifs et les orientations, plus spécifiquement sur les dossiers qui sont sous ma responsabilité, afin d’être en mesure de conseiller adéquatement mes autorités.

En étant en poste à l’étranger, je suis également encore plus proche des autorités politiques qu’avant.

En ce mois, fête de la province, quelle image vous renvoie le Québec en 2019 ? Quel parallèle, faites-vous avec le Québec de la décennie 2000 – 2010 en matière d’immigration?

Il y a 19 ans, j’avais l’impression qu’au Québec, l’immigration se cachait surtout dans la ville de Québec où je résidais. Je n’en voyais quasiment pas dans les rues de la ville. L’immigration, je n’en avais conscience quasiment que sur le campus universitaire. Pour moi qui, étudiante, j’avais fait le choix de vivre en appartement et non dans les résidences universitaires et j’avais l’impression que j’étais la seule personne d’origine étrangère dans la ville.

Aujourd’hui, des Québécois issus de l’immigration comme moi j’en vois plus fréquemment et pour moi le Québec c’est une société ouverte et résolument tournée vers l’avenir, avec tout ce qu’elle compte de talents. Je suis fière d’être Québécoise.

Si c’était à refaire, choisirez-vous à nouveau de faire votre vie au Québec ?

Absolument. D’ailleurs, si c’était à refaire, le Québec serait mon choix et non l’heureux choix de ma mère.

Avant de clore notre entretien, Quels conseils, donnez-vous aux personnes immigrantes nouvellement installées dans la province ?

La première fois que je suis allée vivre ailleurs, j’avais à peine 8 ans. Le conseil que je vais donner me vient de mon enfance. Je parle ici directement aux personnes qui se sont installées au Québec il y a peu ou même qui y sont depuis quelques années déjà : toute personne qui un jour a été nouvelle quelque part le sait : il ne faut jamais oublier que la nouvelle ou le nouveau c’est toi. Tu as certes beaucoup de choses à offrir, mais le Québec a également beaucoup à t’offrir.  Alors, ouvre les yeux, regarde bien autour de toi et imprègne-toi de ta terre d’accueil. Si tu as l’impression que les Québécoises et Québécois ne viennent pas vers toi, vas vers eux et engages la conversation, fais-toi connaitre, crée-toi un réseau et surtout fixe-toi des objectifs.

Entretien mené par Marie Gisèle M.